Voici les résultats d’une petite enquête menée dernièrement* dont la principale finalité était de trouver des alternatives moins coûteuses aux logiciels et aux instruments désormais les plus communément employés dans la numérisation tridimensionnelle – ou la photocopie – d’objets archéologiques :

• Metashape (ou Photoscan),
• MicMac,
• Pix4D,
• Photomodeler,
• RealityCapture
• etc…
• et, bien évidemment, toute la panoplie de scanners 3D dont il est inutile de préciser ici toutes les nouveautés.

* Cette enquête a été réalisée dans le cadre de la campagne de fourniture en logiciels des membres de l’IRAA. Les deux principaux objectifs visés étaient de baisser les dépenses du laboratoire et de chercher des logiciels à la fois commodes et libres, et ce, autant que faire se peut, conformément aux recommandations de l’État dans ce domaine (SILL). Nombre des éditeurs de logiciels libres, quand bien même ces derniers proposent de les fournir gratuitement, proposent à leurs utilisateurs de faire une donation à la hauteur de leur revenu ; cette donation a pour simple but de maintenir leur activité à flot. Un tel mode de paiement est-il pris en compte par les instances du CNRS et des Universités ?
Une dernière condition sine qua none serait ne pas être contraint de connecter son ordinateur à internet, soit pour que l’éditeur puisse vérifier la validité de nos licences (voire surveiller le moindre de nos “clics”), soit pour que les photographies que nous venons de prendre soient chargées dans un serveur et traitées à distance par un logiciel auquel nous n’avons pas accès. 

Nota Bene : les résultats de cette enquête ne peuvent en aucun cas être exhaustifs et ils ne répondront pas forcément encore très bien à nos attentes.
Les remarques et les compléments constructifs et pertinents à ce post seront les bienvenus. Cet article s’apparente délibérément à un glouton destiné à avaler toutes les nouvelles propositions qui ne feront que l’enrichir et surtout le rendre plus utile à celles et ceux qui le consulteront. Un autre “post” présentant clairement des critiques, des objections, des compléments à cette présentation sera également très bénéfique.
La plupart des instruments et des logiciels présentés ici n’ont pas été mis à l’épreuve de mes opérations de terrain. Il n’est donc pas possible d’affirmer avec assurance qu’ils répondront convenablement aux objectifs scientifiques de ces opérations (convenance aux ordres de grandeur des objets étudiés, échelle d’observation, etc.),  qu’ils seront suffisamment souples et ouverts pour les adapter aux attentes d’une opération particulière* et que les fac-similés 3D qu’ils permettront de produire seront exacts, précis et bien “construits” ou “restitués”.
* peut-on y ajouter des “plug-ins” ou, quand on sait vraiment le faire, y ajouter aisément des lignes de programme pour améliorer l’outil et l’adapter à nos attentes ?

Précisons enfin qu’il n’est nullement question ici de faire la promotion d’un logiciel, d’un outil ou d’un instrument en particulier aux dépens d’un autre, ce qui serait en totale inadéquation avec l’objet du carnet hypotheses RAAN.

Les autres applications employées par les membres du laboratoire

Le champ d’investigation de cette enquête pourrait être étendu aux autres applications les plus communément utilisées. Je me contenterai ici de les présenter brièvement :
– les traitements de texte (alternatives aux suites de Microsoft ou d’Apple : Apache OpenOffice, Latex),
– les logiciels de bases de données (alternatives à Access, Filemaker : MySQL Workbench)
– les logiciels de Système d’Information Géographique (SIG) (alternatives à Arcgis : QGIS ou une application en ligne, intégrant bien moins de possibilités que les deux premiers mais d’un emploi somme toute assez simple et intuitif, comme “Ma Carte” proposé par l’IGN),
– les logiciels de traitement des images ou de dessins vectoriels (alternatives à la suite d’Adobe : Gimp, Inkscape, la suite Affinity (logiciel payant mais de faible coût)),
– les logiciels de dessins techniques (alternatives à Autodesk, VectorWorks, etc. : Freecad, LibreCAD, DaoDesign, Draftsight (payant))
– ou encore les logiciels de modélisation tridimensionnelle et de “raytracing” (Alternatives à 3DStudio, Cinema4D ou Rhino3D (etc.) : Blender).
Nous sommes pour la plupart bien conscients que quelques-uns des logiciels propriétaires que nous employons présentent une ergonomie qui nous facilite grandement le travail. Ils recèlent en outre une série d’outils qui sont bien souvent indispensables à la bonne avancée de nos dossiers respectifs et qui n’existent pas dans les applications libres et gratuites.

I. Logiciels et instruments de photocopies tridimensionnelles

Les applications alternatives aux logiciels que nous employons pour l’acquisition de “fac-similés tridimensionnels” ou de “maquettes numériques” (cf. article d’Alain Badie), des outils un peu moins coûteux, voire gratuits, et aussi performants que ceux-ci, sont difficiles à dénicher.

A. Le Logiciel libre par excellence

Il existe bien sûr depuis plusieurs décennies un logiciel libre, développé par l’IGN et l’ENSG : le logiciel intitulé “MicMac“. Il est particulièrement performant et ne cesse de progresser et d’être amélioré au fil des années (loin d’être un simple outil, il est avant tout au centre des sujets de recherche sur la photogrammétrie numérique) mais son emploi nécessite un certain savoir-faire, un lourd bagage de connaissances théoriques (dont notamment celles de l’optique et des propriétés physiques des lentilles, etc. – Yves Egels, La photogrammétrie, principes généraux et terminologie, 2011) et une habileté dans le maniement des équations et l’écriture de lignes de commandes. Il est ainsi assez difficile d’accès pour les simples utilisateurs et les amateurs qui ont bien d’autres préoccupations que celles de “coder”.

Quelles sont nos occupations ? Ne sont-elles pas déjà assez bien fournies ?

Dans le cas particulier de notre champ d’investigation, l’architecture antique gréco-romaine, les utilisateurs ou amateurs doivent concentrer toutes leurs réflexions et leurs efforts sur l’architecture et sur l’étude de très vieux monuments. Il n’est pas inutile de rappeler ici que celle-ci requiert en effet une attention soutenue des “amateurs” que nous sommes qui porte sur les études conjointes de l’histoire et de l’historiographie des monuments, de leurs proportions, des unités de mesure employées, des techniques de construction mises en oeuvre, des composantes architecturales, des motifs ornementaux et du corpus épigraphique qui leur est parfois associé, etc. Rappelons aussi que, dans le cadre de ces études, nous tentons tant bien que mal de nous approcher au plus près des modes de pensée, des faits et des gestes de nos lointains ancêtres et ce, pour mieux les comprendre. L’emploi de “nouvelles” techniques sophistiquées nous éloigne bien plus d’eux que les outils des techniques “traditionnelles” qui sont désormais rangés dans les vieux placards de nos laboratoires (un jour ou l’autre, ils seront exposés dans la vitrine d’un musée). Un fil à plomb, une équerre, un compas ? Pléthore de stèles, de peintures ou de mosaïques et nombre d’ouvrages antiques d’arithmétique ou de géométrie attestent leur existence et leur utilisation voici plus de 2000 ans. En persistant à utiliser encore ces vieux outils, ne faisons-nous pas preuve sans nous en rendre toujours bien compte d’archéologie expérimentale ?

Dialogue homme-machine : les interfaces graphiques

Quant aux outils numériques, faudrait-il donc nous contraindre à les reprogrammer sans cesse, chaque fois que nous désirons les utiliser ?
S’il nous fallait encore dérouler, sécher, puis empiler et coller des feuilles de papyrus, affûter un calame et préparer une encre à base de noir de fumée et de plomb, nous aurions bien du mal à commencer le moindre dessin et ce, d’autant plus s’il fallait faire un petit voyage en Égypte pour se fournir.
À partir des années 1980, les simples utilisateurs et amateurs ont pu “dialoguer” plus aisément avec les machines en bénéficiant du principe du “WYSIWYG” (What You See Is What You Get) et par là même des merveilleuses inventions des “Interfaces graphiques” qui équipent les divers systèmes d’exploitation que nous utilisons quotidiennement et que sont les menus, les icônes, les boutons, les fenêtres, les liens hypertextes (etc.) animés par les mouvements et les “clics” d’une souris, d’un pavé tactile ou d’un stylet. Ce ne sont rien d’autre que des pictogrammes, des représentations graphiques ou des mots interactifs permettant de lancer l’exécution de simples commandes ou de programmes plus sophistiqués, facilitant notre dialogue avec la machine et nous épargnant ainsi la répétition bien fastidieuse de l’écriture de lignes de commande. Rappelons-le : nous avons mieux à faire.

Un exemple analogue, parmi bien d’autres, d’instrument sophistiqué dont l’usage est communément accordé aux non spécialistes

La plupart d’entre nous savent conduire une automobile sans avoir nécessairement une idée très précise du fonctionnement de son moteur ou de tous les engrenages de transmission des forces destinées à en faire tourner les roues. Une automobile nous permet de nous rendre d’un point A à un point B et nous devons avant tout apprendre à la conduire de sorte à ne pas provoquer d’accidents, autrement dit à intégrer un certain savoir-vivre et un savoir-être au volant d’un engin potentiellement dangereux. Si nous étions tenus d’en connaître toute la mécanique pour avoir l’autorisation de la piloter, cela impliquerait non seulement une très fine connaissance de tous les organes du moteur, de toutes les filières de fabrication des matériaux servant à les formaliser mais également des trois ou cinq grands principes de la thermodynamique et autres grands principes de la physique, de la cinétique ou de la mécanique. Or, nous nous contentons plutôt de vérifier le niveau d’huile et de l’eau de refroidissement pour éviter d’endommager le moteur, de changer les bougies, la batterie et l’eau des essuie-glaces ou encore de changer une roue et c’est déjà bien suffisant.
De même, quand nous prenons en main un crayon pour tracer des lignes ou des lettres sur une feuille de papier, nous pouvons nous épargner de connaître la provenance de la graphite (anciennement nommée “plombagine“), du bois et de la pellicule de peinture dont il est composé et c’est ce que nous faisons la plupart du temps puisque notre objectif premier est de l’utiliser et non de le fabriquer.
Dans le présent cas, vous objecterez sans doute que ces comparaisons ne sont pas très pertinentes et que nous devons nous résoudre à piloter un avion, qui est encore au stade du prototype, en compagnie d’un mécanicien, comme le firent Mermoz ou Saint-Exupéry durant les longs trajets de l’Aéropostale. Et il est vrai aussi que certains des architectes d’antan demandaient sans doute à leurs jeunes apprentis de piler les bâtons de couleurs et peut-être même d’aiguiser leurs crayons avant de réaliser leurs beaux dessins au lavis. En outre, les fantastiques applications des instruments de l’informatique, avec lesquelles nous pouvons désormais presque tout faire, font que nous sommes désormais confrontés à une sorte de couteau-suisse en perpétuelle évolution et en continuelle voie de perfectionnement. La présence du “mécanicien”, au sens le plus noble du terme, à nos côtés deviendrait-elle ainsi quasi inévitable ? Les ordinateurs, les téléphones, les tablettes et les logiciels produits par les grandes entreprises de la Silicon Valley paraissent plutôt démontrer le contraire.

b. Les autres logiciels libres et “gratuits” de photogrammétrie

En explorant la toile, on trouve quelques logiciels de photogrammétrie qui sont gracieusement fournis par leur éditeur et dont certains sont pourvus d’une interface graphique assurant un dialogue fluide entre “l’homme” et la “machine”.
Quelques petites applications gratuites sont proposées dans les catalogues de logiciels d’Apple et de Google. Ces applications ont plutôt des visées ludiques et éducatives ; les objets numérisés présentés sur les sites de leurs éditeurs sont le plus souvent des visages, des chaussures, des bijoux, des pizzas ou des jouets. L’une d’elles, intitulée QLONE, permet d’obtenir très facilement le fac-similé tridimensionnel de n’importe quel objet ; une version “PRO”, qui est payante, est destinée à l’usage des dentistes et des prothésistes. Le résultat des numérisations avec cette application n’a pas une résolution suffisamment haute pour que nous puissions l’employer dans le cadre de nos études. Cependant, tout dépend des objectifs que nous souhaitons atteindre et des techniques que nous mettons en oeuvre pour réaliser l’enregistrement graphique d’un objet archéologique. Dans le cadre de la chaîne opératoire traditionnelle d’un relevé, un maillage tridimensionnel créé avec un tel logiciel pourra concourir à finaliser les détails d’un relevé réalisé à l’aide de mètres et d’équerres et dessiné sur une feuille de papier. La qualité et l’exactitude du relevé seront assurées par les instruments traditionnels de mesure et le maillage en trois dimensions n’en sera alors que le modeste appui. Ce logiciel présente en outre un grand intérêt pédagogique pour toutes celles et ceux qui désirent être initiés à la photogrammétrie par corrélation dense et en comprendre les grands principes.

Le tableau suivant présente les quelques logiciels “gratuits” trouvés sur la toile. La gratuité de ceux qui fournissent une interface graphique est toute relative et elle est le plus souvent un geste commercial destiné à inciter leur utilisateur à passer à la version “pro” payante, ce qui n’est pas surprenant dès lors que la mise en forme d’une interface ergonomique exige un surcroît de travail non négligeable.

Logiciel	Gratuité ?	Plateforme	Interface graphique
Meshroom	oui ?	Windows Linux	oui
3DFZéphyr	Version “light” (version “pro” payante)	Windows	oui
OpenMVG	oui	Linux Windows ? Mac ?	non ?
VisualSFM	oui	Linux Windows Mac	oui ?
Colmap	oui	Linux Windows Mac	non

Qu’en conclure dès lors que je n’ai testé aucun d’entre eux ? Qui plus est, je ne les ai certainement pas tous trouvés ; il en existe sans doute d’autres perdus dans les fonds marins de la toile.

c. Les instruments équipant les dernières versions de tablettes et de téléphones

La dernière tablette et les dernières versions de téléphones d’un fabricant dont je tairai ici le nom, pour ne pas en faire une promotion dont il n’a guère besoin, permettent depuis quelques années de réaliser des copies numériques en trois dimensions d’objets physiques avec une rapidité et une facilité déconcertantes.
Deux applications cédées gratuitement par le fabricant ou par l’un de ses éditeurs associés permettent d’utiliser le lidar dont la tablette et le téléphone sont équipés. Les maquettes numériques semblent procéder à la fois de l’usage de ce lidar et d’un calcul photogrammétrique par la prise de photos avec la caméra dont ils sont également pourvus. Le résultat de la numérisation est obtenu de façon particulièrement rapide. Et dès lors que les photographies peuvent elles-mêmes être géo-référencées, l’objet 3D peut semble-t-il l’être aussi (avec un écart de positionnement encore bien trop important pour satisfaire nos exigences). L’une des applications proposées permet en outre de faire pivoter l’objet et d’obtenir ainsi des ortho-images orientées selon ses faces principales ainsi que de réaliser des tranches du maillage sous forme de courbes de niveau exportables au format DXF.

Une expérience menée à Glanum lors de la campagne de 2023, consistant à confronter les résultats obtenus avec le logiciel de photogrammétrie par corrélation dense que nous utilisons tous depuis près de dix ans et ceux de l’instrument sur tablette dont il est question ici, a permis de montrer que celui-ci ne satisfait pas encore toutes nos attentes. La qualité de l’objet obtenu, notamment pour ce qui concerne les détails des objets examinés (profils des moulures, détails ornementaux…), est encore bien insuffisante. Mais d’une part, tout dépend là encore des objectifs scientifiques que nous nous sommes fixés et d’autre part, les prodigieux progrès techniques dont font preuve tous les fabricants de tablettes et de téléphone m’incitent à supposer que les outils dont ils sont équipés seront très vite perfectionnés.

Logiciels à utiliser en ligne par les éditeurs de logiciels de dessin vectoriel

Le dernier résultat de cette enquête est celui des applications proposées par les éditeurs de logiciels de dessin vectoriel, Autodesk et Cesyam par exemple. Ces applications sont exclusivement utilisables en ligne. Elles permettent de produire un maillage tridimensionnel prêt à l’emploi sans qu’il soit possible de paramétrer une à une chacune des étapes du calcul de celui-ci. Il faut ainsi se contenter du produit fini et en espérant qu’il soit digne de confiance.

II. Une autre alternative : les outils 3D “traditionnels” ou “classiques” ?

Depuis quelques années, il m’arrive d’éprouver une certaine nostalgie pour les anciens instruments de dessin et de relevé qui étaient et sont encore tout aussi performants, voire même parfois plus rapides, que toutes ces suites logicielles. Et en effet, tracer à main levée un dessin sur une feuille de papier s’avère en bien des cas d’une efficacité sans pareille, cet acte n’imposant ni le paramétrage, ni le classement de chaque trait créé avec des logiciels de dessin vectoriel. En dépit des grands avantages de ces derniers, un croquis ou une esquisse peuvent s’avérer amplement suffisants pour étudier un monument. Les logiciels nous facilitent certes grandement la vie et nous évitent de faire bien des calculs ou de dessiner dix fois la même image (vive le génial “copier-coller” !). Mais il serait bien présomptueux de continuer à affirmer que les résultats obtenus avec eux seraient plus exacts ou plus précis que les méthodes et techniques de nos vénérables prédécesseurs, dont la production s’avère toujours bien plus étendue que la nôtre. Faute de mieux, nous sommes bien souvent réduits à consulter encore leurs ouvrages, leurs relevés et les dessins de leurs carnets de fouille pour disposer d’un dossier graphique complet sur un monument (exemple).
La carte du commandant A. Bringuier de l’île de Délos, dressée en 1907-1908 avec une rigueur impressionnante, est exemplaire du point de vue des questions d’exactitude et de précision des relevés – nous pourrions également mentionner le plan du Hiéron d’Apollon d’Axel Maar et de Gerhardt Poulsen dessiné à partir du levé topographique d’Henri Convert et de Joseph Replat – M.-Ch. Hellmann, BCH 120, 1996, p. 205). Les “erreurs” ou légers décalages avec la carte de l’île la plus récente avoisinent 1 m, voire 2 m ; ces écarts peuvent raisonnablement être considérés comme négligeables à l’échelle à laquelle elle a été réalisée (1:2500 ; à cette échelle, 2 m correspondent à un trait de 0,8 mm, autrement dit l’épaisseur de la mine d’un crayon).
On pourrait en dire autant pour le levé topographique et les plans successifs qui furent réalisés par Julien Bruchet, Pierre Varène et Jean Bigot à Glanum. Les écarts de mesure de leurs dessins, parfois d’une dizaine de centimètres, sont acceptables dans le cadre d’une étude urbaine, à l’échelle du site entier ; l’ensemble de leurs plans, recopiés sous forme vectorielle et une fois placés sur le site des carte de l’IGN, montre des écarts de géo-référencement tout à fait admissibles quand l’usage d’un tel plan est envisagé d’un point de vue topologique et non métrique (Glanum). Et même en abordant la question de l’exactitude et de la précision de leurs relevés, il est important de noter ici que les dessins des trois auteurs résultent de mesures exactes indiquées sur leurs minutes ou sur leurs plans mis au net.
Que ce soient pour les mesures d’angle ou de longueur, les instruments numériques autorisent une précision vertigineuse mais est-il bien judicieux de déclarer qu’une “erreur” de 0,1° ou de 0,1 mm aura une grave incidence sur l’interprétation d’un mur qui fut implanté à l’aide d’un fil tendu entre deux piquets et dont la longueur fut fixée par une pige dont la plus petite graduation correspond à l’épaisseur d’un doigt ou d’un demi-doigt ?

Dans les deux exemples qui viennent d’être présentés, l’adage émanant du conte en vers de Voltaire, La Bégueule, s’avère tout à fait convenir : “Le mieux est l’ennemi du bien”.

” Vous voyez bien, dit-elle à sa filleule,
Que vous étiez une franche bégueule.
Ma chère enfant, rien n’est si périlleux
Que de quitter le bien pour être mieux. “

Nous pourrions ainsi conclure

• qu’un crayon bien affûté ou un porte-mine,
• une grande et belle planche de chêne ou de noyer,
• un Té, une règle graduée, des équerres et des rapporteurs,
• un mètre ruban,
• un mètre de charpentier et des réglets,
• un fil à plomb,
• une ficelle,
• un niveau à bulle,
• de grandes équerres de tailleur de pierre,
• un bon vieux théodolite
• un graphomètre ou une alidade
• etc.

seraient suffisants en bien des situations pour répondre aux formes et aux ordres de grandeur des monuments que nous étudions.
La myriade de dessins de très grande qualité du XVe jusqu’aux dernières décennies du XXe siècle n’en est-elle pas la preuve manifeste ? Si nous comparons la somme d’ouvrages et de dessins qui ont été produits durant ces siècles avec la production des trente dernières années, peut-on véritablement affirmer avec assurance et fermeté que les outils que nous employons aujourd’hui accélèrent grandement et améliorent les études architecturales ? Quand bien même un fac-similé résultant de la numérisation tridimensionnelle d’un objet physique est obtenu avec une prodigieuse facilité, il ne remplace en aucun cas l’étude de ce dernier, son analyse et son interprétation dont le temps de labeur demeure encore incompressible. L’IA nous en promet-elle une réduction drastique ? Mais alors, quelle est donc la raison sous-entendue de cet empressement à comprimer le temps ? Doit-on ainsi généraliser le “Time is money” de Benjamin Franklin à absolument tous nos faits et gestes (B. Franklin, Advice to a Young Tradesman, 1748) ?
Quelques traits placés avec soin sur un bout de papier, que ce soit à main levée ou par les moyens plus sophistiqués du dessin graphique, ont bien souvent encore la vertu d’être tout aussi performants car ils émanent du dialogue le plus élémentaire et le plus direct entre une main et l’objet qu’elle façonne. Ces traits peuvent tout autant exprimer l’observation et l’analyse les plus objectives possibles que l’interprétation la plus pertinente.

Les réflexions d’Umberto Eco au sujet de la “xérocivilisation” qui ont surgi à l’heure de l’invention des photocopieurs font écho aux questions auxquelles nous essayons de répondre aujourd’hui au sujet des photocopieurs 3D de toutes sortes. Il suffirait d’ajouter “3D” à “photocopie” et de remplacer “livre” par “monument” dans cet extrait pour exprimer à peu près la même idée :

“…la photocopie est un instrument d’une grande utilité mais très souvent il va aussi constituer un alibi intellectuel : quelqu’un qui sort de la bibliothèque avec une liasse de photocopies a, la plupart du temps, la certitude qu’il ne pourra pas tout lire, qu’il finira même par s’y perdre parce que tout est mélangé, mais il a la sensation de s’être emparé du contenu de ces livres.”

De biblioteca, traduit de l’italien par Eliane Deschamps-Pria. Caen : l’Echoppe, 1986. – 31 p.; 21 cm. ISBN 2-905657-09-X

Si nous devions revenir à l’utilisation des outils dits “traditionnels” (un qualificatif qui, de nos jours, ne cesse de devenir de plus en plus péjoratif), il faudrait certes nous familiariser à nouveau avec les longues et laborieuses démonstrations d’Euclide, avec les vieilles tables de trigonométrie pour traiter les mesures en coordonnées polaires faites avec des théodolites, avec les calculs d’incertitudes en réapprenant à faire l’extraction d’une racine carrée, etc. Misère !
Nous devrions alors refaire les mêmes efforts que nos vénérables prédécesseurs, répéter mille fois les mêmes gestes, faire une myriade d’exercices d’écriture, de dessin et de calcul pour parfaire nos facultés cognitives, pour affiner l’habileté de nos mains et pour nous perfectionner ainsi dans la pratique de notre métier.

J’invite toutes celles et ceux qui auraient l’idée (saugrenue ?) de revenir aux techniques anciennes à lire attentivement ce petit manuel qui offre tout ce que l’on devrait savoir pour relever des monuments :
C.-A. Chardon, instituteur, Cours pratique de géométrie, d’arpentage, dessin linéaire élémentaire et d’architecture, 1852.
Précisons que ce manuel n’est qu’un exemple parmi une multitudes d’ouvrages du XIXe et du début du XXe siècle que leurs auteurs respectifs avaient réalisés avec la noble et louable aspiration à partager leurs connaissances et leurs savoir-faire avec le plus grand nombre de leurs concitoyens, en des temps durant lesquels les universités et les grandes écoles n’étaient ouvertes qu’aux élites et où tous les autres devaient se contenter d’une auto-formation ou d’un auto-apprentissage.

Un retour aux bonnes vieilles méthodes ? Mais quel scandale ! Comment peut-on clamer encore ce genre de bêtises à une époque où des hélicoptères nous font atteindre sans effort les sommets des plus hautes montagnes ?

Je fais partie de la génération qui est née en même temps que les ordinateurs personnels (j’ai le même âge que l’Apple II, le TRS-80 et le PET !). Mes professeurs de l’École d’Architecture de Toulouse, presque tous anciens élèves des Beaux-Arts, nous apprenaient encore quelques bribes de l’enseignement studieux qu’ils avaient suivi en leur temps ; les bougres nous contraignaient encore à dessiner au crayon ou à l’encre de chine sur du calque, voire du papier canson. Depuis près de vingt-cinq ans, en ayant été forcé de me plier aux avancées technologiques de mon temps dès l’apprentissage de mon métier en agence, j’emploie volontiers tous ces outils pour réaliser des dessins en 2D, en 3D et même en 4D (quand ils bougent ! cf. ce petit exemple distrayant) et j’en suis très satisfait. Il serait bien malvenu de nier que les logiciels et autres bidules numériques sont des outils bien commodes. Mais, si ces outils font bien évidemment l’objet d’une recherche approfondie menée par leurs concepteurs (MicMac en est sans doute l’un des meilleurs exemples), leur étude dans le cadre de nos activités ne sont pas pour nous des fins en soi. Ces outils doivent simplement répondre à nos attentes et être en adéquation avec les objets que nous devons examiner et mesurer. Je ne crois pas que Robert Amy et Pierre Coupel aient un jour proposé des journées d’études sur l’emploi préférentiel du stylo à pointe tubulaire aux tire-lignes, aux plumes ou aux calames avec au centre du débat : “La fin dramatique des lignes en pleins et déliés, une irréparable perte pour la science” ; entre nous soit dit, un tel débat aurait été fort amusant.

Tout ce qui est écrit ici présente un avis parmi d’autres, c’est une sorte de “billet d’humeur” et il peut bien évidemment faire l’objet d’un long et épineux débat. Il en fera peut-être l’objet et, en écrivant ces quelques mots, j’invite les éventuels contradicteurs à le faire non par voie orale mais par des mots alignés sur la page d’une feuille de papier ou d’un traitement de texte. C’est bel et bien la finalité principale du présent carnet hypothese : celle de débattre autour d’une idée.
Et je ne suis pas sûr du tout qu’il y aura une réponse plus admissible qu’une autre, le problème restera en suspens.

Livre de l’Ecclésiaste (Qohéleth) ch. 1, v.2-10
Nihil novi sub sole
“…Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. S’il est une chose dont on dise : Vois ceci, c’est nouveau ! cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés.”

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